Le slashing : nouvelle tendance du travail ?

Avez-vous déjà entendu parler des slashers, ces touche-à-tout qui conjuguent le travail au pluriel et jonglent aisément d’une activité à l’autre ? Aussi appelés multi-potentiels en raison de leur capacité à s’adapter facilement à de nombreux environnements, ils sont en train de modifier en profondeur les codes traditionnels du travail. Retour sur un phénomène qui prend de l’ampleur.

Slashing-man

Le slashing, késako ?

Le terme « slasheurs » est issu du mot anglais « slash », qui désigne la barre oblique que l’on peut utiliser pour séparer deux métiers que l’on exerce simultanément.

Introduit pour la première fois en 2007 par l’Américaine Marci Alboher dans son ouvrage « One Person, Multiple Careers », le terme « slasheur » s’est depuis popularisé en France. Il a d’ailleurs rejoint le Larousse en 2020, qui le définit de la manière suivante : « Personne, généralement issue de la génération Y, qui exerce plusieurs emplois et/ou activités à la fois ».

Selon une étude menée par le Salon des micro-entreprises en 2015, 4,5 millions de Français sont des slasheurs (16% des actifs quand même…). La majorité des répondants affirme l’être par choix et non par impératif économique. Nous avons donc affaire à un véritable phénomène de société et à une tendance réelle dans le monde du travail.

Une brève histoire du slashing

Selon Marielle Barbe, auteure du livre « Profession slasheur » aux éditions Marabout, le slashing n’est pas un phénomène récent. La Renaissance prône la figure du « polymathe », personne érudite dans de multiples domaines. Les grandes figures de l’époque sont d’ailleurs de célèbres slasheurs : Léonard de Vinci, par exemple, s’est illustré dans des domaines aussi variés que la peinture, la musique, l’architecture, l’astronomie, l’ingénierie militaire, les mathématiques, l’anatomie… sans compter ses nombreuses inventions !

Slasheuse

Mais avec la révolution industrielle, la nouvelle norme est désormais à la spécialisation et à l’expertise. Les ouvriers spécialisés excellent dans un domaine et n’en sortent plus. Cette tendance trouve son apogée pendant les Trente Glorieuses et n’a que peu été remise en question depuis. L’image, véhiculée par l’éducation, d’un métier unique que l’on exercerait tout au long de sa vie, est encore forte dans les esprits.

Aujourd’hui, on observe la montée en puissance du slashing dans la sphère professionnelle. Nombreux sont ceux qui cumulent deux ou trois jobs dans des environnements totalement différents.

Et les entreprises prennent de plus en plus conscience du décalage entre un monde du travail qui prône l’hyperspécialisation et les aspirations personnelles des salariés désireux de s’ouvrir au monde et de développer leur plein-potentiel. Elles constatent ainsi qu’il leur est de plus en plus difficile de recruter et de fidéliser leurs employés. Notamment les plus jeunes pour qui « carrière » ne rime pas forcément avec « employeur unique ». Celles qui tirent leur épingle du jeu sont celles qui accompagnent l’évolution de leurs collaborateurs et répondent à leurs attentes aussi bien professionnelles que personnelles !

Le slashing, une nouvelle tendance du travail

D’après une étude sur le futur du travail en 2030, les formats traditionnels du travail (salariat, freelancing, etc) s’hybrident de plus en plus. Aptes à développer leurs compétences en permanence, les slasheurs sont ainsi des couteaux-suisses parfaitement adaptés à l’évolution du travail.

Les slasheurs sont bien sûr influencés par la conjoncture, notamment la digitalisation et la nomadisation du travail. Si le besoin de s’épanouir reste leur premier moteur, la crise les incite aussi à diversifier et adapter leurs compétences pour rester sur la crête de la vague. Certainement un réflexe salutaire dans un monde du travail de plus en plus incertain, qui prône agilité et flexibilité, et où il est vital de savoir questionner ce que l’on apprend et rebondir en cas d’échec.

Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, le slashing n’est pas seulement l’apanage des jeunes générations. On observe aujourd’hui des séniors qui se dirigent vers le slashing par volonté d’épanouissement et de liberté et n’attendent plus la retraite pour oser se lancer.

Le slashing est-il fait pour moi ?

Marielle Barbe l’affirme : les slasheurs ont comme point commun d’être des personnes curieuses, enthousiastes, qui explorent très vite les sujets et ont la capacité à faire des liens. Ces multi-potentiels ont comme ambition principale le souhait de se réaliser pleinement. Ils craignent avant tout de se sentir enfermés, davantage qu’ils n’ont besoin de sécurité matérielle. Ils savent se remettre en question, apprennent en permanence et intègrent rapidement de nouvelles notions.

Revers de la médaille : ces personnalités sont souvent plus rapidement sujettes à l’ennui, et risquent de se disperser plus facilement. Voilà pourquoi la rigueur est une qualité : un bon slasheur sachant slasher doit savoir s’organiser et gérer plusieurs projets en parallèle.

Slasheuse-heureuse

Trois slasheurs nous font profiter de leur expérience

Marielle Barbe, coach / auteure / formatrice / conférencière / consultante

Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?

« J’ai toujours été slasheuse. J’ai exercé pas moins de cinquante activités différentes ! J’ai travaillé tour à tour dans la culture, dans la communication, dans le développement personnel, dans l’écologie… J’ai toujours mené deux activités en parallèle, même quand j’étais en CDI. Jusqu’à 45 ans, j’attendais d’avoir la révélation de ma vocation. J’ai fini par comprendre que toutes mes activités étaient portées par la même raison d’être : accompagner les personnes et les organisations pour les aider à révéler leurs potentiels multiples. C’est pour aider les profils pluriels qui ont du mal à rentrer dans une case à s’assumer et à trouver leur place que j’ai décidé d’écrire un livre sur les slasheurs. Aujourd’hui, je suis à la fois coach, formatrice, consultante, conférencière… Je ne m’ennuie jamais ! »

Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui veut se lancer dans le slashing ?

« La première chose est de se défaire des préjugés de notre éducation. Celle-ci nous a formatés à regarder la vie professionnelle en une seule dimension et de manière linéaire. Il faut prendre des lunettes 3D et voir qu’il est possible d’exercer plusieurs activités si l’on considère notre parcours de manière plus évolutive, organique. Ensuite, regarder autour de soi. Les gens qui nous inspirent le plus sont souvent multi-dimensionnels, et ont assumé leur multi-potentialité au cours de leur parcours professionnel. Les études tendent à prouver que les gens qui réussissent sont souvent plutôt des profils généralistes. Mais il y a cette vieille croyance ancrée qui dit qu’il faudrait forcément être un expert pour réussir. Enfin, il faut assumer sa singularité et être capable de défendre une posture de slasheur en mettant en avant ses atouts, comme l’adaptabilité, face à un recruteur. »

Plus d’informations sur le livre « Profession slasheur » aux éditions Marabout.

Jean-Baptiste Thomas Sertillanges, avocat / comédien

Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?

« J’ai été pendant 10 ans avocat dans un grand cabinet anglo-saxon. Les horaires, les délais et la pression étaient importants. À côté, j’ai commencé à faire du théâtre, ce qui m’a mené au projet d’écriture d’une pièce. Je devais alors jongler entre l’écriture de la pièce, les répétitions, les représentations, les relations presse, le site internet… et mon travail d’avocat. Et la pièce a cartonné ! Lorsque j’ai eu le choix de devenir associé dans mon cabinet ou de rejoindre une entreprise, j’ai choisi la deuxième option. Les horaires sont plus cadrés, ce qui me laisse du temps pour mes projets. J’ai à la fois la sécurité de l’emploi et à la fois toute latitude pour me lancer dans des choses un peu dingues à côté ! »

Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui veut se lancer dans le slashing ?

« Un slasheur doit jongler entre deux jobs qui le passionnent profondément. Je ne me verrais pas abandonner mon métier initial, mais il me manquerait quelque chose de fondamental si je n’exerçais pas mes deux activités. Il faut avoir le goût de l’aventure, que les enfants ont naturellement et qui s’endort généralement à l’âge adulte. Aussi, le slashing fonctionne bien quand il y a une vraie complémentarité et cohérence entre les deux activités. En ce qui me concerne, elles se nourrissent mutuellement. Je n’aurais pas été capable de créer une pièce de théâtre si 90% de mon travail ne consistait pas déjà à écrire. Dans mes deux activités, il faut avoir l’amour des mots, de la punchline, du storytelling. En entreprise, on me confie d’ailleurs de plus en plus de projets créatifs impliquant de la communication et de l’écriture ! »

Plus d’informations sur la pièce de théâtre « Les sphères ennemies »

Camille de Saint Léger, créatrice de robes de mariée (ancienne slasheuse)

Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?

« J’ai d’abord intégré le Groupe Suez lors de mes études puis en CDI sur des postes RH. En parallèle, j’ai développé ma passion de toujours pour la couture et les étoffes en réalisant des projets de couture pour mon entourage. En 2018, j’ai confectionné ma première robe de mariée, la magie d’Instagram a opéré puis l’aventure a commencé avec d’autres commandes. J’ai alors eu le déclic : j’avais trouvé ce que j’aimais faire. J’aime beaucoup le conseil et la relation de confiance qui s’installe avec la mariée, ainsi que les belles matières et le côté unique de mon travail. Chez Suez, je suis passée à temps partiel pour consacrer plus de temps à ma deuxième activité. Et depuis cette année, je travaille à temps complet sur mon projet. En parallèle, j’enseigne la couture dans une startup où j’apprends à de futures mariées à confectionner leur robe et leur voile pour le jour J ! »

Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui veut se lancer dans le slashing ?

« Le slashing est particulièrement adapté aux profils créatifs et curieux, qui ont plein d’idées et envie de mener plusieurs projets en même temps. C’est idéal de commencer avec un temps partiel quand on est slasheur. Cela permet de faire ses premiers pas dans une autre activité en prenant un minimum de risques. Il ne faut pas forcément attendre que le projet soit totalement abouti pour se lancer. Si le projet vous passionne, vous serez porté. La motivation est un vrai levier ! La vie est longue, et je suis convaincue que l’on n’aura pas qu’une seule vie professionnelle au cours de notre trajectoire. L’organisation est aussi le pilier des slasheurs. Un slasheur est un jongleur : il doit savoir gérer les priorités ! Au début, il m’est arrivé de devoir terminer une robe de mariée à 2 heures du matin ! Il faut aussi bien se connaître pour trouver un équilibre et être capable de tout mener de front sans négliger sa vie personnelle. »

Plus d’informations sur Camille de Saint Léger